Nous avons découvert Chloé et Jordan des Tailleurs Cueilleurs cette année. Une rencontre passionnante avec ces deux jeunes vignerons du Bugey, attachés à une idée forte : faire croître le lien entre la vigne et son environnement. Leurs premiers vins transmettent toute cette énergie.
Souvent regroupée ou confondue avec la Savoie voisine, la région du Bugey fait pourtant parler d’elle. Avec ses cépages et ses paysages variés, elle offre une terre d’accueil aux vignerons en quête de nature, qui sont de plus en plus nombreux à la rejoindre et y prendre racine. Le couple de vignerons qui se cache derrière les Tailleurs Cueilleurs en fait partie. Chloé est de Nîmes, Jordan vient d’Alsace. Après quelques expériences dans différents vignobles, ils se rencontrent lors de vendanges chez Bruno Schueller en 2018. Ils voyagent ensemble, travaillent notamment chez Denis Montanar (dans le Frioul)… et germe alors l’idée de s’installer pour faire leur propre vin.
En 2020, une opportunité s’offre à eux : un domaine est à vendre dans le Bugey. Les vendanges se rapprochent, Chloé et Jordan préparent leur installation, mais les vendeurs font finalement faux-bond. Tenaces, ils convainquent plusieurs propriétaires locaux de leur vendre de petites parcelles de vignes. Ils trouvent à Saint-Jean-le-Vieux (près de Cerdon) un bâtiment qui fera office de chai de vinification, puis le retapent afin qu’il puisse accueillir leurs raisins à la vendange 2021. C’est ce premier millésime qui est aujourd’hui prêt à être dégusté.
Une grande variété de terroirs et d’expressions
8 cuvées pour le premier millésime d’un petit domaine, ce n’est pas rien. On comprend néanmoins pourquoi le couple a privilégié les vinifications parcellaires quand on visite leurs vignes. Leur mésaventure initiale aura en effet permis une chose : Chloé et Jordan ont pu choisir une à une les parcelles qui leur plaisaient, en variant les altitudes et les expositions. Les locaux sont ici plus disposés qu’ailleurs à céder leurs vignes : les acquéreurs sont rares, et les coteaux pentus et difficiles. Le couple a ainsi pu récupérer des parcelles avec différentes nuances de terroir, mais aussi de nombreuses variétés. Gamay, mondeuse, pinot noir, poulsard et chardonnay composent l’encépagement du domaine.
Ces parcelles sont toutes situées à proximité de la cave et réparties sur trois secteurs : une vallée au nord et en altitude dans le secteur de Poncieux, avec les plus vieux gamays du domaine ; plusieurs parcelles et des cépages variés sous le château de Varey ; une autre vallée, enfin, située un peu plus bas dans le secteur de Dalivoy avec une parcelle de chardonnay. Lorsque l’on se rend dans les vignes de Poncieux, on comprend la spécificité de ce « Haut-Bugey ». Ici, les différents chemins sillonnent et grimpent rapidement les reliefs, les vallées sont plus ténues, presque enclavées, et la vue est rarement aussi dégagée que dans le Bugey-Sud. Les coteaux sont souvent abrupts, et les sols en haut de pente peuvent souffrir de l’érosion. L’approche de Jordan et Chloé vise justement à retrouver partout un équilibre.
Tailleurs Cueilleurs : un écosystème de la liane
Le nom choisi pour le domaine ne doit évidemment rien au hasard. Pour nos Tailleurs Cueilleurs, la vigne est au centre d’un véritable écosystème. La biodiversité y est favorisée : l’agroforesterie et la place de l’animal sont des sujets de réflexion importants (Jordan adorerait voir quelques unes des vaches qui pâturent alentour dans ses vignes). Une vingtaine de fruitiers ont été déjà été plantés, et les essences seront diversifiées dans les années à venir. Les sols sont couverts et ne sont pas remués, les adventices sont simplement couchés au rouleau faca. Le couple ne s’interdit pas pour autant les amendements (comme le bokashi) dans les endroits où la vigne peut souffrir de carences.
Jordan devant la parcelle de vieux gamays de « La Buidare » (qui donne naissance à leur cuvée A L’Abada) au mois d’août 2022
Nos discussions avec Chloé et Jordan sur la vigne et le vin ont été passionnantes. Avec une approche que l’on devine pleine de curiosité, le couple met en pratique sa vision globale de la plante, de la vie au sein de la parcelle et des paysages. La vinification, elle, est pour l’instant assez simple. Les deux vignerons s’estiment chanceux d’avoir commencé avec la fraîcheur du millésime 2021. Tous les raisins (hormis les gamays de la cuvée Grenalâ) ont été égrappés, mais la vendange entière prendra sans doute une place plus importante de leur réflexion à l’avenir.
Patois et poésie
Alors que les superbes étiquettes du domaine (signées par l’artiste Anthony Duchêne) mettent le végétal à l’honneur, les noms de cuvées sont issus du patois local et évoquent des anecdotes liées à la vie des parcelles. Ainsi, Kove (corneille) et Nua (noix) font référence aux pensionnaires ailés de ces deux parcelles, dont le sol fût retrouvé jonché de coques à la surprise des jeunes vignerons.
Malheureusement, les quantités produites sont assez faibles. Nous pouvons vous proposer quatre cuvées parmi la large gamme du domaine. Voici celles que nous avons choisies, et que vous pourrez donc retrouver dans notre sélection ou sur la carte du bar à vins.
- Vin de France Lyëna 2021 : Chardonnay d’une parcelle assez tardive, à 400 mètres d’altitude (les Carronières, à Dalivoy). Terroir de marnes calcaires. Le premier vin que nous ayons goûté du domaine : même si ses sucres ont tardé à se finir, l’énergie était déjà là. Un blanc avec de l’allonge, et une sensation de fraîcheur qui ne vient pas seulement de son acidité. L’élevage en demi-muids d’acacia lui a donné du relief.
- Vin de France Kove 2021 : Gamay et mondeuse du secteur de Varey. Moins en altitude (300 mètres). Ici, les jus de goutte de mondeuse ont été ajoutés au gamay, vinifié séparément (goutte et presse). Le vin a une belle texture veloutée et un côté sanguin, apportés par le jus de goutte de mondeuse. Épices et sensation graphite (mine de crayon) en finale, qui lui donnent beaucoup de fraîcheur.
- Vin de France Novêra 2021 : Troisième secteur (Poncieux) avec cette parcelle de gamay à environ 500 mètres d’altitude. C’est une parcelle solaire, et la première à être récoltée dans ce secteur. Elle a donné un joli gamay (égrappé, 3 semaines de macération) charnu et fin à la fois.
- Vin de France A L’Abada 2021 : Toujours dans le secteur de Poncieux, avec une vieille sélection massale de gamay et gamay fréaux en gobelets. Parcelle La Buidare, plus froide et plus tardive que sa voisine qui a donné naissance à Novêra. On retrouve la profondeur des vieilles vignes dans un rouge frais, avec un degré faible et beaucoup de peps. A L’Abada signifie « être libre » : on espère que sa dégustation vous emmènera dans les beaux paysages bugistes dessinés par Jordan et Chloé !
Quelques cuvées du large éventail proposé par le domaine Tailleurs Cueilleurs
Pour finir, au pays où le cerdon est roi, la bulle occupe encore une place de choix dans les discussions. Nous avons beaucoup parlé de cette tradition locale avec les deux vignerons. Le Cerdon du Bugey est un effervescent produit en méthode ancestrale et qui doit conserver du sucre, parfois en grande quantité. Comment stabiliser un vin encore sucré dans lequel des levures en pleine activité viennent d’entraîner une prise de mousse ? Les méthodes employées sont modernes et très interventionnistes, à l’opposé des convictions du domaine. Pour autant, les Tailleurs Cueilleurs avaient à cœur de produire une bulle à leur façon. Élevage sur latte, remuage sur pupitre, dégorgement… Du fait de son effervescence prononcée, Chloé n’aime pas vraiment le terme de « pet’nat » pour qualifier leur bulle Sarvazo. À mi-chemin entre la tradition locale et le travail peu interventionniste mais minutieux du couple, nous avons hâte de goûter cette méthode ancestrale de pinot et gamay !
Robin
Incroyable ! Alors que vous nous donniez déjà l’envie d’aller explorer cette région inconnue qu’est le Bugey, vous nous régaler avec un nouvel article sur un domaine qui semble tout à fait exceptionnel !
Hâte de passer au bar pour goûter ces cuvées. Passionnant et belles descriptions des vins ! Très clair !
Les prix sont indécents…!!!
Bonjour,
Au sujet des prix auxquels sont vendues les cuvées des Tailleurs Cueilleurs, ils peuvent en effet sembler élevés pour un premier millésime. Le prix d’un vin est un sujet intéressant et complexe : beaucoup de facteurs ont une influence et ceux-ci peuvent être de différentes natures, et ne sont pas toujours intrinsèquement liés au vin en question.
Dans le cas de Chloé et Jordan, il faut expliquer que le coût de revient du vin n’est pas le même dans le cas de deux vignerons qui s’installent et partent de zéro que dans celui d’un domaine installé. Les parcelles très pentues du Haut-Bugey, qui imposent un travail important rapporté à la surface, les rendements limités de certaines vieilles vignes récupérées par le domaine, ainsi que les faibles quantités produites sur ce premier millésime sont d’autres explications.
Enfin, dans notre cas, il faut ajouter au tarif demandé par les vignerons les frais de port (en nette augmentation ces derniers temps) et la rémunération de l’intermédiaire (agent/distributeur) parisien. En toute transparence, nous appliquons ensuite à la cave le même coefficient (et donc la même marge) que pour les autres vins que nous proposons à emporter.