30 Déc, 2022
Catégorie.s : Portraits de vignerons

Chez Lajibe, les mansengs en bonne compagnie

Depuis ses premiers vins sous l’étiquette Lajibe en 2017, Jean-Baptiste Semmartin nous impressionne par la singularité et l’énergie de sa production de cuvées parcellaires. Le vigneron de Lucq de Béarn, au far west de l’appellation Jurançon, explore désormais d’autres terroirs… avec petit et gros mansengs en chefs d’orchestre. Son négoce Mansengs et Compagnie, né en 2021, incarne son approche des deux cépages.

Jean-Baptiste Semmartin n’est pas tout à fait originaire du Béarn (il est de Bigorre, il y tient !), mais ce natif du Sud-Ouest a trouvé à Jurançon un terrain de jeu à sa mesure. Avec l’aide précieuse de la famille Estoueigt (domaine Larroudé), il a crée le domaine Lajibe et petit à petit trouvé sa patte. Rejoint depuis peu par sa compagne Juliana, il façonne des blancs denses et intenses, mais toujours traversés par une tension et une énergie rares. Cet équilibre, Jean-Baptiste le doit notamment au climat local et à l’acidité naturelle des cépages phares de la région. Avec le millésime 2021, il lance une petite activité de négoce qui vient compléter la gamme du domaine Lajibe… avec pour objectif d’explorer la diversité des mansengs de la région.

Des parcelles du domaine Lajibe…

Commençons par Lajibe. Le domaine et les parcelles du domaine se trouvent à Lucq de Béarn, à l’ouest de Monein, dans le secteur le plus occidental de l’appellation Jurançon. Ici, on trouve sous les parcelles un conglomérat de roches détritiques caractéristique des avants-pays montagneux. Dans cette région d’eau et de pluie, l’ensoleillement est un facteur essentiel : les vignes de Serres-Seques, d’Haure et de Carmeret bénéficient toutes d’une très belle exposition au sud. Les deux dernières forment un seul ensemble caractéristique de la polyculture qui prévalait ici : délimitée par des chênes, dotée de fruitiers et d’une mare pour les bêtes, la parcelle est plantée de vignes sur ses parties pentues.

Alors que de nombreuses vallées sont ouvertes à l’ouest et exposée aux courants marins, cette parcelle est protégée du vent et il y fait souvent très chaud. À Jurançon, la topographie joue au moins autant que la géologie strico sensu dans la définition des terroirs et l’expression des vins. Si les vignes sont adjacentes, et le substrat géologique le même, Carmeret (du nom de la ferme située en dessous) se distingue d’Haure par sa situation en contrebas. Les racines y plongent presque immédiatement dans un ensemble caillouteux (graviers, schistes argileux, etc.), alors que les vignes d’Haure bénéficient d’un sol plus humifère et plus profond, plus frais. Haure offre en général beaucoup de densité et de profondeur ; les vignes de Carmeret souffrent plus, mais parviennent à extraire tension et salinité de leur assise minérale.

photo de la parcelle Haure et Carmeret
Les rangs de vignes de la parcelle d’Haure et Carmeret

Dans la région historiquement dominée par les coopératives, on arrache souvent les vignes assez jeunes. Ce n’est pas le cas de l’ancien propriétaire de la parcelle, dont le nom a été donné à la cuvée par Jean-Baptiste. « Papy Haure faisait un peu figure d’exception, et on trouve encore ici et là de vieilles massales » explique-t-il. Les vignes de la cuvée Haure sont en moyenne les plus âgées du domaine. Un peu plus loin, J.B. exploite une troisième parcelle très pentue et plantée majoritairement de petits mansengs. C’est Serres-Seques, un terroir idéal pour la production de très beaux liquoreux. Quelques pieds de gros mansengs complantés ici servent aussi à l’élaboration d’un jurançon sec hors-norme, riche en arômes, en sels et en extraits secs.

…à de nouveaux terroirs, de Jurançon et d’ailleurs

Dans ces parcelles, quelques pieds de petit courbu et de variétés inconnues côtoient les célébrités locales : le petit et le gros manseng. « Contrairement au lauzet ou au calamaret, le gros manseng ne vient pas forcément du coin, alors que sa présence dans le Gers est très ancienne », raconte Jean-Baptiste. Ses qualités organoleptiques (arômes et acidité) lui ont pourtant permis de s’imposer à Jurançon. Avec ses petites baies à la peau épaisse, le petit manseng concentre encore les atouts déjà présents chez le gros. Génétiquement, Il est très probablement un enfant du savagnin, avec qui il partage cette capacité à se charger en sucres tout en conservant une grande acidité naturelle. C’est cette acidité qui a attiré Jean-Baptiste à Jurançon, et qui reste la colonne vertébrale des cuvées de Lajibe.

Son approche réfléchie et empreinte de curiosité l’a pourtant poussé à chercher un peu plus loin que Lucq de Béarn. Sur d’autres secteurs de l’appellation Jurançon d’abord, comme à Lasseube, mais aussi dans le Gers. « Pour mon négoce, je voulais explorer le manseng sur des terroirs que je n’avais pas forcément ici », raconte le vigneron. « Mais toujours avec un cahier des charges », précise-t-il : des raisins cultivés en bio par des partenaires consciencieux, avec qui Jean-Baptiste échange régulièrement. Ces derniers incluent aussi bien des confrères vignerons que des viticulteurs locaux, « anciens » attachés à une pratique saine et respectueuse de la vigne… comme l’était sans doute Monsieur Haure en son temps.

Pour son négoce, le vigneron a fait le choix de la clarté et de la transparence. Les cuvées Mansengs et Compagnie ne sortent donc pas sous l’étiquette Lajibe, mais portent simplement le nom Jean-Baptiste Semmartin. Les raisins sont traités avec le même soin que les mansengs du domaine. Ils suivent le même parcours de vinification : un travail de respiration et d’élevage adapté à chaque vin, qui est également une de ses signatures.

photos cuvées vins
Les trois cuvées du domaine Mansengs et Compagnie

Les cuvées de Mansengs et Compagnie

Trois cuvées Mansengs et Compagnie sont donc arrivées sur les tables au cours de l’année 2022. Toutes issues du millésime 2021, elles révèlent des caractères bien différents selon l’endroit d’où proviennent leurs raisins. Nous décrivons leurs origines et leurs caractéristiques ci-dessous. Quelques bouteilles sont encore disponibles à la cave ou à la carte du 228 Litres : ne tardez pas pour les découvrir !

  • Jurançon sec Poudingues 2021 : les mansengs de cette cuvée ont poussé à 350 mètres d’altitude, face aux Pyrénées, dans le secteur de Lasseube. Les vignes de Sébastien Coustarret qui leur ont donné naissance sont assez jeunes. Plus encore que les autres, ce vin a le parfum et le caractère citronné (zestes d’agrumes, citron vert) du millésime 2021 à Jurançon. « J’ai senti assez vite ce côté frais et juvénile, et j’ai voulu le préserver avec une vinification un peu plus courte que pour les autres », explique J.B. « Paradoxalement, c’est celui qui a le moins d’acidité à l’analyse ». En bouche, on retrouve ce côté filant, cette acidité claquante et zestée, et une dimension tactile qui évoque le calcaire en finale. Avec ce toucher particulier, c’est peut-être la cuvée la plus différente des vins du domaine.
  • Vin de France Mansengs 2021 : ici, les raisins ne proviennent plus du Béarn mais de la proche Gascogne. Ce sont des gros mansengs de Sébastien Fezas (domaine Jean Daugé, dans le Gers), auquel Jean-Baptiste a ajouté une petite proportion de petits mansengs de Lajibe, très chargés en sucres et qui ne se sont jamais arrêtés de fermenter. « C’était très bon, très propre, mais trop riche… il fallait que je les assemble ». L’ensemble a continué à fermenter un peu après l’assemblage. Le vin a un profil exotique, avec toujours ce travail caractéristique sur les lies. Un mariage étonnant et réussi, qui nécessite aujourd’hui un carafage.
  • Jurançon sec Marcel 2021 : un assemblage de gros et petit mansengs, issus d’une parcelle de la commune de Monein. La cuvée porte le nom de son propriétaire. Si elle est géographiquement proche des parcelles de Lajibe, elle est située plus en altitude (350 mètres), et en plateau plutôt qu’en pente. Le sol est argileux et les vignes souffrent peu de la sécheresse. Marcel 2021 a été vinifié intégralement sans ajout de soufre, et le vin est d’une densité hors-norme. « Il est plus taiseux, plus salin aussi, vraiment brut de décoffrage… Je vais m’en garder quelques-unes de côté », nous confesse J.B. en riant. L’acidité caractéristique des deux cépages vient réveiller l’ensemble. Un numéro d’équilibriste, et un vrai coup de cœur dont nous avons mis, nous aussi, quelques bouteilles en vieillissement !

Robin

2 Commentaires

  1. Christel Lagiet

    Bonjour,
    Avez vous des vins du Domaine Lajibe ?
    Merci

    Réponse
    • La Cave Pigalle

      Bonjour,
      Merci pour votre intérêt.
      Les vins du domaine Lajibe sont malheureusement épuisés. Nous avons mis quelques bouteilles des cuvées Haure et Carmeret en vieillissement, elles seront prochainement de retour.
      Pour les vins Mansengs et Compagnie, il nous reste quelques bouteilles de la cuvée Mansengs.

      L’équipe La Cave Pigalle

      Réponse

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